Agriculteurs et écolos : nous refusons d’être catalogués comme ennemis

Avec cette tribune nous nous adressons à tous les agriculteurs et agricultrices ayant manifesté leur colère ces derniers jours, mais aussi à toutes celles et ceux qui hésiteraient encore à les rejoindre. Nous, organisations écologistes, paysan-nes et militant-e-s pour un autre modèle agricole depuis des décennies partageons cette colère, et refusons le discours dominant qui voudrait faire de nous vos ennemis. 

Nous sommes en colère parce que nous savons que la destruction des conditions de vie des paysan-ne-s comme la destruction des écosystèmes profitent aux mêmes personnes, et que ce ne sont ni vous ni nous.

Depuis les tout débuts des mouvements écologistes, nous nous sommes toujours mobilisés avec détermination sur la question du modèle agricole et des conditions de travail et de vie des agriculteurs. Parce que nous savons l’importance considérable de l’agriculture sur l’environnement : ainsi la qualité de la terre, de l’air, de l’eau, de ce que nous mangeons, et bien sûr le climat, dépendent de ce que nous cultivons et élevons et de la manière dont nous le faisons.

Nous avons lutté contre les traités de libre-échange, pour la souveraineté alimentaire et pour que chaque pays – et chaque paysan-ne – puisse vivre de son agriculture et la faire vivre plutôt que de la soumettre à la concurrence internationale. Nous avons manifesté main dans la main avec les agriculteurs contre la grande braderie du monde paysan à la finance, contre le Tafta, le Ceta, le Mercosur, maintenant les traités de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, le Chili et le Kenya soutenus par le gouvernement Macron (2).

Nous avons en tant que consommateurs et militant-e-s soutenu l’agriculture paysanne, créé et promu les Amaps, les circuits courts, l’agriculture bio, nous avons mis la main à la pâte jusqu’à mettre de l’épargne au service de nouvelles installation. Nous appelons depuis longtemps à ce qu’il y ait au moins un million de paysan-ne-s en France, et nous savons l’urgence qu’il y a à trouver des repreneurs, car dans moins de 10 ans maintenant la moitié des agriculteurs du pays partiront à la retraite.. Et même si c’est loin d’être assez, ce sont déjà des milliers de militant-e-s écologistes qui ont entrepris des reconversions en agriculture pour s’y mettre concrètement.

C’est encore pour cela que nous sommes nombreuses et nombreux à défendre désormais le principe d’une sécurité sociale de l’alimentation, un système de solidarité entre consommateurs et producteurs qui permette à ces derniers de vivre décemment de leur travail et de reprendre la main sur notre alimentation.

Dans le domaine de l’agriculture comme dans d’autres nous discernons bien aussi toute l’ambiguïté des normes. Certaines peuvent bel et bien protéger la santé des travailleurs, la fertilité des terres, les ressources en eau…Mais sous des prétextes vertueux, elles sont parfois aussi conçues pour impliquer des contraintes techniques, pratiques et une aseptisation du métier telles qu’elles vont dans le sens de la disparition des petites fermes au profit de ceux qui peuvent s’industrialiser et s’endetter plus encore.

Il n’y a pas lieu de s’attaquer sans discriminations aux normes environnementales mais de les financer de manière à maintenir les revenus et d’en rendre l’application compatible avec la pratique paysanne. 

Alors nous sommes nombreux à avoir soutenu et proposé sans succès une autre PAC (1), qui aide réellement aux reconversions et pour ne pas vous abandonner face à des normes environnementales imposées sans aucune contrepartie derrière pour les appliquer concrètement et de manière juste.

Même et surtout quand nous nous battons contre des projets agricoles, contre des méga bassines, ou des élevages industriels aux proportions absurdes : nous le faisons systématiquement avec des agriculteurs, et pour le monde paysan. Parce qu’il est injuste et hypocrite que quelques agriculteurs s’accaparent l’eau au détriment de ceux qui cherchent à produire autrement. Parce que les fermes-usines contre lesquelles nous nous battons détruisent de l’emploi paysan et mettent une pression déloyale sur les petits éleveurs qui sont contraints de s’aligner ou de mettre la clef sous la porte. Et tout ça au bénéfice de grands groupes qui les poussent à des élevages toujours plus grands pour leur racheter leurs produits à des prix dérisoires – c’est par exemple la stratégie du groupe Duc révélée par une enquête de Médiapart (3).

Stopper ces projets, c’est défendre un modèle agricole qui protège le vivant mais surtout qui permet au reste du monde paysan de vivre dignement d’un travail de qualité.

Car, qui est à l’origine de la chute du nombre de paysan-ne-s à moins de 500 000 (4) en France ? A l’origine des suicides d’agriculteurs chaque jour, des montagnes de dettes ? A l’origine des obligations de rendements toujours plus importantes, de la concentration toujours plus forte des terres dans les mains de quelques uns, des prix toujours plus bas de ce que vous produisez ? Les prix agricoles ont baissé de 10% en moyenne rien que l’année écoulée (5), tandis que l’inflation bondissait et les bénéfices des grands groupes agro-industriels et de la grande distribution également.

Cet échec et ce drame, ce sont ceux d’un modèle productiviste, poussé par la grande distribution et des gouvernements successifs depuis des décennies, contre lesquels nous alertons depuis tout ce temps.

Le modèle agricole que nous défendons se bat précisément contre les causes de ces drames. Mais aussi contre l’autoritarisme qui s’offre comme une solution alors qu’en excluant plus qu’en rassemblant jamais l’extrême droite n’a été du côté des travailleurs.

Depuis toujours, nous sommes les alliés des paysans. Et contrairement à ce que racontent la propagande du gouvernement ou les discours autoritaires qui attisent la haine entre nous pour mieux s’engraisser sur nos vies : nous continuerons à être vos alliés, parce que c’est une question de survie.

Alors c’est en tant qu’alliés que nous appelons à vous rejoindre sur le pavé et dans vos actions les jours qui viennent pour porter ce message, et pour défendre le monde paysan.

Nous serons là avec différents points fixes pour discuter avec tous les agriculteurs qui le veulent, et ensemble rappeler que les véritables responsables de la crise que vit la profession ne sont ni les consommateurs ni les écolos – mais bien la lâcheté des gouvernements successifs, la grande distribution et l’agro-business qui s’engraissent pendant que tant d’entre vous se tuent à la tâche.

Nous refusons de laisser des industriels possédant des milliers d’hectares, le gouvernement ou encore les éditorialistes de Cnews bien au chaud dans leurs bureaux parisiens nous traiter comme la cause de la crise que subit le monde paysan depuis si longtemps.

Nous préférons construire ensemble un modèle qui profite aux agriculteurs, aux consommateurs et à la vie, comme il aurait toujours dû l’être. Et nous serons ensemble dans la rue pour en discuter et manifester, car oui, il est bien possible d’être militant à la fois pour l’environnement et pour l’agriculture de demain.

1. https://pouruneautrepac.eu/

2. https://reporterre.net/L-Europe-choisit-le-libre-echange-avec-la-Nouvelle-Zelande-au-detriment-du-climat

3. https://www.mediapart.fr/journal/economie/101022/autour-de-chailley-dans-l-yonne-les-megapoulaillers-continuent-de-pousser

4.https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/Pri2213/detail/

5. https://www.insee.fr/fr/statistiques/7709124

Premier-e-s signataires (liste en cours de mise à jour) :

Organisations nationales et représentant-e-s

Helene Binet, porte-parole de Make Sense

Alix Brun, pour les Youth for Climate

Lou Chesné, co-porte parole de Attac France

Enora Chopard, porte-parole de La Déroute des routes

Simon Duteil et Murielle Guilbert, co-porteparoles de l’Union Syndicale Solidaires

Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre

Antoine Gatet, président de France Nature Environnement

Chloé Gerbier, co-coordinatrice de Terres de Luttes

Thibaut Godin, porte-parole de ANV-COP21

Sixtine Guellec, co-présidente de Climates

Hanzo, pour Extinction Rebellion

Christine Lemarteleur, co-présidente de l’Offensive

Axel Lopez, pour RAFU, la coalition Résistance aux Fermes-Usines

Dominique Masset, co-président de Secrets Toxiques

Gilbert Mitterrand, président de la Fondation Danielle Mitterrand

Laura Morosini, directrice Europe du Mouvement Laudato Si

Lotta Nouki, porte parole des Soulèvements de la terre

Sandy Olivar Calvo, Chargée de campagne Agriculture et Alimentation chez Greenpeace France

Tarier Pâtre, porte parole des Naturalistes des Terres

Pierre-Michel Périnaud, Médecin, Président d’Alerte des médecins sur les pesticides

Priscille de Poncins, Secrétaire de Chrétiens unis pour la terre

Alice pour le collectif Riposte Alimentaire

Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous

Emma Tosini, porte-parole de Alternatiba

Kim Vo Dinh, Co-président de Combat Monsanto

Mouvement Utopia


Personnalités

Genevieve Azam, économiste

Milan Bouchet-Valat, sociologue

Julian Carrey, enseignant-chercheur, membre de l’Atécopol

Maxime Combes, économiste

Jean-François Deleume, porte-parole Alerte des Médecins sur les Pesticides

Isabelle Cyril Dutech, Chercheur en biologie évolutive et pathologie forestière

Cyril Dion, réalisateur et écrivain

Laure Ducos, Auteure du livre « Les frites viennent des patates »

Agnès Ducharne, Chercheuse en hydroclimatologie, Ecopolien

Camille Etienne, activiste

Aurélien Gabriel Cohen, Chercheur en géographie

Fabrice Flipo, professeur

Jean-Louis Hemptinne, Professeur émérite d’écologie ; École nationale Supérieure de l’Enseignement Agricole

Nicolas Hervé, Enseignant-chercheur, ENSFEA

François Jarrige, historien

Philippe Jatteau, INRAE

Sylvain Kuppel, chercheur hydrologue

Etienne-Pascal Journet, chercheur au CNRS et agronome

Annalisa Odin MARC, Chercheur en Sciences de la Terre, CNRS

Erwan Negre, Ingénieur de recherche, Météo France

Alessandro Pignocchi, auteur de bandes-dessinées

Nicolas Praquin, Enseignant-Chercheur – IAE de Rouen

Marianne Renner, Professeur des Universités à la Sorbonne

Laure Teulieres, enseignant-chercheur, membre de l’Atécopol

Vincent Verzat, vidéaste de la chaine Partager c’est Sympa 

Florence Volaire, Chercheuse à l’INRAE

Maxime Zucca, Ornithologue, Reensauvager la ferme


Collectifs locaux et autre organisations : 

Aeri

Action Environnement Boulogne Billancourt

Alerte Pesticides Haute Gironde

Alternatiba Marseille

Alternatiba Paris

Amap Paz Solidaire

Amis de la terre Midi-Pyrénées

ANV COP21 Vienne 38

Association Culture & Climat Montpellier

Association Bretagne Vivante

Bascule argoat – coordination du tiers lieu

Bio Consom’Acteurs

Biocal du Lomont

Collectif La Voie est Libre (contre l’A69)

Collectif Non à la ligne 18

Collectif Non A133-A134

Collectif Citoyens Lotois Vigilance Méthanisation

Collectif Bretagne contre les Fermes-Usines

Collectif Puylaurens sans bitume

Collectif Stoppons l’extension d’Avel Vor

Collectif Non à la Zac du Rivel – Baziège

Confédération Paysanne du Morbihan

Coopération des luttes locales centre

Coordination Stoppons l’extension de la porcherie Avel Vor

Collectif St Germain sans bitume

Eau Secours 31

Elzeard Lure en résistance

Environnement 93

Ferme des Olé-ânes

France Nature Environnement Paris

France Nature Environnement Val de Marne

FNE Île-de-France

GNSA Les Lilas

Groupe local de Greenpeace Brest

Groupe local de Greenpeace Toulouse

GYBN France

Non au Pont d’Achères (A104Bis)

NOUS SOMMES VIVANTS, collectif de transition écologique

Irène Nenner, président d’environnement 92

Karim Lahiani, pour le projet Une autre voie face à l’A69

Rigoulet Sans Bitume 

Romocitoyenne

St Germain Sans Bitume

St Quentin en Yvelines en Transition

Tiers lieu paysan de la Martiniere

PEPS (Pour une écologie populaire et sociale)

UPNET (Union Pour la Nature et l’Environnement du Tarn)

Vigilance OGM 21

Vivre et agir en Maurienne

Yonne Nature Environnement

Youth For Climate Saint-Brieuc

ZAD de la Crèm’arbre

Blocage de Rennes sud, vendredi 26 janvier 2024